« Roi de son ordre, “archange des moines”, prince de l’Église […] Hugues de Semur porte Cluny au faîte de la grandeur » écrivait M. Pacaut (1). En effet, de 1049 à 1109, le sixième abbé du monastère fait rayonner l’Ecclesia cluniacensis à travers l’Europe et renforce sa place au cœur de la société chrétienne.
Un destin exceptionnel

C’est en 1024, entre les murs de la demeure familiale, le château de Semur‑en‑Brionnais, qu’Hugues voit le jour au sein d’une fratrie de huit frères et sœurs. Héritier d’une illustre lignée de la région, il est le fils de Dalmalce Ier de Semur et d’Aremberge de Bourgogne.
DSelon la tradition hagiographique (2), sa naissance s’inscrit au cœur d’un miracle : avant sa venue au monde, il serait apparu sous la forme d’un petit enfant dans le calice du prêtre célébrant l’Eucharistie. Tel un présage divin, cet épisode annonce la vocation et le destin exceptionnel de ce grand abbé… (3).
À l’encontre de la volonté de son père qu’il le destinait à une carrière militaire, le jeune Hugues rejoint la vie religieuse, probablement avec le soutien de son grand‑oncle, le comte-évêque Hugues d’Auxerre.
Dès l’âge de ses 15 ans, il devient moine au monastère de Cluny au sein duquel il gravit les échelons rapidement : à seulement 24 ans, il est nommé grand prieur par Odilon puis accède, un an plus tard en 1049, à la charge d’abbé (4).
Artisan de l’âge d’or de Cluny
À l’image de son prédécesseur, Hugues entretient des relations étroites avec les grands de son temps : papes, rois de France et d’Angleterre, empereurs germaniques, souverains hispaniques.
Par leurs donations, ils assurent le salut de leur âme et contribuent ainsi au rayonnement de Cluny « aux quatre coins de l’Europe » (5). Dès la fin du XIe siècle, on observe une multiplication des prieurés :
- En péninsule ibérique : Saint-Zoilo de Carrión de los Condes (1076) ; Sainte‑Marie de Nájera (1079).
- En Angleterre : Lewes (1077) ; Wenlock (1080) ; Castle Acre (1087-1089).
- En Lombardie : Saint-Benoît de Polirone (1077) ; Saint-Jean-Baptiste de Vertemarte (1084).
- Dans l’Empire germanique (avec une implantation plus difficile) : Saint-Ulrich (1087) ; Saint-Alban (1109).

Mais aussi vers le nord du royaume : de Saint‑Martin‑des‑Champs (1079) à Saint-Leu d’Esserent (1081) ainsi que sur tout le territoire avec 104 nouveaux établissements intégrés.
À l’issu de l’abbatiat d’Hugues, l’ampleur de l’Église clunisienne est telle qu’elle est décrite comme un corps dont Cluny serait la tête et les dépendances les membres…
Le nouveau centre de la Chrétienté
« Vous êtes la lumière du monde »
Urbain II (6)
À partir de 1088, l’abbé initie la construction de la plus grande église de la Chrétienté (jusqu’au XVIe siècle !), la Maior Ecclesia (Cluny III) consacrée par le pape clunisien Urbain II en 1095. En réunissant de nombreuses reliques de saints et de martyrs, notamment celles de la croix, des apôtres Pierre et Paul et de la Vierge, l’abbaye forme une véritable « petite Rome » (7)

Protégée par la papauté, son privilège d’exemption fait d’elle un exemple de liberté dans le contexte de la réforme grégorienne, période où l’Église affirme son pouvoir face aux empereurs (8).
La mise en scène de la gloire de Cluny
Les années 1049 à 1109 incarnent l’apogée du scriptorium : de somptueux manuscrits ornés de pourpre, d’or et d’argent y sont notamment produits.
L’abbé veille aussi à la construction de l’identité clunisienne en mettant en lumière le caractère exceptionnel de l’abbaye et de ses abbés :
- En 1063, il fait canoniser son prédécesseur Odilon et demande à faire réécrire et abréger sa Vita (9).
- Au début du XIIe siècle, il fait dresser un catalogue de la bibliothèque composé de plus de 500 ouvrages classés en fonction des préférences littéraires de ces prédécesseurs.

Deux coutumiers sont également rédigés dans les années 1080 par les moines clunisiens Bernard et Ulrich, foisonnant de détails sur de la vie quotidienne de la communauté.
Contrairement à ces prédécesseurs, le 6ème grand abbé de Cluny s’éteint au monastère en 1109 où il est inhumé derrière le maître autel de la Maior Ecclesia (10). À la demande de son successeur Pons de Melgueil, il est canonisé par le pape Calixte II en 1120.











