Fig. 1

Fiche encyclopédique

Noël ou la fête de la Nativité à Cluny

À la rencontre des moines de Cluny

Bien avant les sapins illuminés et le Père Noël vêtu de rouge popularisé aux XIXe et XXe siècles, Noël présentait au Moyen Âge un tout autre visage. Les 24 et 25 décembre étaient rythmés par des veillées, des processions et des chants liturgiques destinés à célébrer la naissance de Jésus. À Cluny, la fête y était célébrée avec tant de ferveur que l’on affirmait que le Christ lui-même venait y assister (1).

Origines de la fête de Noël

Selon les Évangiles, c’est à Bethléem, dans une crèche (ou étable), sous le règne du roi Hérode le Grand (37 à 4 av. J. C.), que Jésus aurait vu le jour (2).

La fête de la Nativité (plus connue sous le nom de Noël) qui vise à célébrer cette divine naissance apparaît au cours du IVe siècle, lorsque le christianisme s’impose dans l’Empire romain.

Fixée le 25 décembre, le même jour que la naissance du soleil (natalis sol invictus), fête célébrée par les Romains à l’occasion du solstice d’hiver, elle marque surtout pour les chrétiens la venue du Sauveur, ce « soleil de justice » annoncé par le prophète Malachie (3).

Rapidement, la fête de la Nativité prend de plus en plus d’ampleur : à partir du XIIe siècle, une dévotion spéciale est rendue à la figure du Christ nouveau-né, représentant de l’humanité de Dieu.

Noël à Cluny : une fête de grande ampleur

Après Pâques, Noël fait partie des cinq principales fêtes de l’année liturgique (4).

À Cluny, une importance particulière lui est accordée, comme en témoigne Pierre le Vénérable : « l’usage de ce monastère est de célébrer la Nativité du Sauveur avec une dévotion singulière […] des mélodies chantées, des lectures [et surtout] avec une dévotion spéciale et des larmes abondantes » (5).

Elle constitue un moment fédérateur qui réunit la communauté autour d’un repas. Selon une coutume ancienne rapportée par Ulrich, l’abbé participait autrefois à sa préparation mais aujourd’hui, ajoute le moine, face à l’afflux des frères et des hôtes venus pour l’occasion, il n’en a plus le temps…

« Tant de frères et tant d’hôtes accourent à cette très sainte solennité […] qu’il ne conviendrait absolument pas [que l’abbé] fût alors occupé à laver les fèves. »
Ulrich de Zell, Coutumes (6)

La veille de la Nativité (24 décembre)

Précédée d’une période de huit jours rythmée par le jeûne et la prière, la fête de la Nativité s’organise en deux temps essentiels, soigneusement documentés par les coutumiers de monastère (7).

Aux matines du 24 décembre, à partir de 00h, ils préparent et “décorent“ le monastère : la grande église (maior ecclesia) et la chapelle Sainte-Marie sont recouvertes de tapisseries. L’autel est encensé et tous chantent le Psaume 92 et le respons “Judée et Jérusalem“.

Durant les vigiles, offices liturgiques célébrés au cœur de la nuit, les moines veillent jusqu’à l’aube rythmant leur prières de lectures et de chants évoquant la venue du Sauveur.

Ensuite, aux alentours de tierce (9h), la communauté se réunit dans la salle du chapitre (8) pour proclamer la fête de la Nativité avant de se prosterner pour quelques minutes de prière.

À la tombée de la nuit, quatre cierges, destinés à brûler jusqu’au matin, sont disposés aux angles du cloître et un dernier, posé dans un vase de marbre transparent, en éclaire le centre.

Aux vêpres, entre 17h et 19h, la communauté parcourt le monastère en procession (9) chantant une succession de lectures jusqu’à la chapelle Sainte-Marie, lieu symbolique de la Nativité.

À la sortie de la chapelle, un feu a été allumé afin que les moines se préparent à la messe de minuit : des bassines d’eau chaude et des serviettes ont soigneusement été disposées pour laver mains, visage et corps.

La messe de minuit et le matin de Noël (25 décembre)

Aux matines (00h), tous sont convoqués par la grande cloche (et non par les clochettes habituelles) : le prêtre et les ministres revêtent alors leur tenue de cérémonie : la chasuble rouge et dorée pour le prêtre, la dalmatique pour le diacre et les tuniques rouges pour les sous-diacres et les chanteurs. Les enfants portent quant à eux des tuniques blanches. 

Sept cierges sont placés devant le grand autel et une hostie est consacrée.

À l’aurore, lors des Laudes, tous se réunissent pour une seconde messe qui marque le début du jour de Noël et le passage de l’obscurité à la lumière, symbole de la naissance du Christ.

Cette fois-ci, trois hosties sont consacrées.

Enfin, quelques heures plus tard, à tierce (9h), de blanc vêtue, la communauté entame une dernière procession portant croix et textes sacrés ; si ce jour tombe un dimanche, la marche débute immédiatement, sinon elle doit commencer à partir de la chapelle Sainte-Marie.

À travers le cloître, des chants en l’honneur de la Vierge s’élèvent, conduisant la communauté jusqu’à l’entrée de l’église, où le respons « Il est descendu du ciel » est repris par tous les moines qui demandent pardon au Christ pour leurs péchés. 

Pour imaginer ce que pouvait être le parcours des moines à travers le monastère...

Biographie

Rédigé par Laura Attardo

    Fédération Européenne des Sites Clunisiens,
    Doctorante à l’Université Paul-Valéry de Montpellier

    Notes

    L’élaboration de cette notice repose sur la consultation des coutumiers d’Ulrich de Zell et de Bernard de Cluny produits à la fin du XIe siècle. Elle reflète donc l’organisation de la fête de Noël sous l’abbatiat d’Hugues de Semur (1049-1109). Noter que l’étude des textes est propre à l’auteure de la notice.

    (1) « Sachez, mes frères, que Jésus, notre doux Sauveur, a décidé d’assister aux solennités de sa Nativité et de votre délivrance… » aurait prononcé l’abbé Hugues de Semur selon Pierre le Vénérable (Livre des miracles, PL 189, col. 880 B).
    (2) C’est dans les Évangiles canoniques de Matthieu (ch. 1, v. 18-25) et surtout de Luc (ch. 2, v. 1 20) qu’est contée la naissance du Jésus.
    (3) Malachie, ch. 4, v. 2 : « Et pour vous qui craignez mon nom, se lèvera le soleil de justice. »
    (4) Cinq des principales célébrations de l’année liturgique : Pâques, Noël, la Pentecôte, la fête des saints Pierre et Paul et l’Assomption de la Vierge.
    (5) Pierre le Vénérable, Livre des miracles, trad. : OURY G.-M., « Noël », in VILLIER M. et alii, Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique, vol. 11, 1982, col. 385-394.
    (6) Ulrich (ou Udalrich) de Zell, Consuetudines antiquiores Cluniacenses, PL 149, col. 643-779, col. 692A.
    (7) Bernard de Cluny, « Ordo cluniacensis », in HERRGOTT M. (éd.), Vetus disciplina monastica, Siegburg, 1999 (1ère éd. 1726), p. 134-364 ; Ulrich de Zell, Consuetudines antiquiores Cluniacenses.
    (8) Salle du chapitre ou salle capitulaire : lieu où l’on « discute de toutes les affaires de la communauté dont les membres sont convoqués par une petite cloche au-dessus du bâtiment » (DIMIER A., Les moines bâtisseurs. Architecture et vie monastique, Fayard, 1964, p. 74).
    (9) Procession : marche solennelle rassemblant la communauté des moines dans la prière et le chant.

    Illustrations
    Fig. 1 : Nativité. Chapelle Palatine de Palerme, v. 1150. © Meister der Palastkapelle in Palermo.
    Fig. 2 : Vue intérieure de la nef de l’abbatiale de Cluny III, vers l’abside (gauche). Dessin de Jean Baptiste Lallemand, v. 1779-1780. © GrandPalaisRmn (Musée du Louvre) / Michel Urtado ; Dessin reconstituant les élévations de la nef de l’abbatiale de Cluny par Turpin C. Bannister sur des mesures de K.J. Conant (droite). Reproduit dans : MARQUARDT J., « Du martyr au monument : les reconstructions romantiques », in MÉHU D. (dir.), Cluny après Cluny, Rennes, 2013, p. 223-245 (en ligne : https://books.openedition.org/pur/117675).
    Fig. 3 : Procession de moines clunisiens. Paris, BnF, NAL 1359, f. 3v (« Histoire de la fondation de Saint Martin-des-Champs »), XIIIe siècle.
    Fig. 4 : Consécration de Cluny III. Paris, BnF, ms. latin 17716, f. 91r, XIIIe siècle.
    Fig. 5 : Célébration de la messe de Noël. Chantilly. Bibliothèque et Archives du Château, ms. 65 (« Très Riches Heures du duc de Berry »), f. 158, XVe siècle.

    Bibliographie indicative
    Sources
    Bernard de Cluny, « Ordo cluniacensis », in HERRGOTT M. (éd.), Vetus disciplina monastica, Siegburg, 1999 (1ère éd. 1726), p. 134-364.
    Ulrich (ou Udalrich) de Zell, Consuetudines antiquiores Cluniacenses, PL 149, col. 643-779.

    Travaux
    BOYER J.-P, DORIVAL G., La nativité et le temps de Noël, de l’Antiquité au Moyen Âge, Colloque international (7-9 déc. 2000), Maison méditerranéenne des sciences de l’homme d’Aix en Provence, Aix-en-Provence, 2003.
    DE VALOUS G., Le monachisme clunisien : des origines au XVe siècle. Vie intérieure des monastères et organisation de l’ordre, Paris, vol. 1, 1935, p. 359-360.
    DUCHESNE L., Origines du culte chrétien : étude sur la liturgie latine avant Charlemagne, 1889, p. 247 254 : https://archive.org/details/originesduculte02duchgoog
    THIBAUT J.-B., « La solennité de Noël », in Échos d’Orient, 19-118 (1920), p. 153-162. https://www.persee.fr/doc/rebyz_1146-9447_1920_num_19_118_4233.

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